Étude scientifique sur le travail de thérapie avec le cheval

Durant six mois, deux étudiantes en master de l’Université de Lyon ont travaillé à Montbrison (Loire) sur les dispositifs de thérapie avec le cheval créés par Dominique Gutierrez. Un projet de la Boutique des sciences qui apporte un soutien scientifique à des besoins exprimés par la société civile. Thérapeute et formatrice en psychologie biodynamique, Dominique Gutierrez explique l’intérêt de solliciter ce type de structure.

 

Pourquoi avoir fait appel la Boutique des sciences ?
L’idée était d’avoir un regard extérieur et scientifique sur ma pratique, de pouvoir m’appuyer sur quelque chose de moins empirique pour pouvoir en parler, avec peut-être plus de distance, à des interlocuteurs comme les hôpitaux ou les institutions.

De ce point de vue, l’objectif a-t-il été atteint ?
Oui, la vision des deux scientifiques me conforte dans ma pratique. Quelque part, je ne me raconte pas d’histoire, il y a bien un impact.

Comment s’est traduite cette collaboration ?
Deux étudiantes sont venues au centre pratiquement six mois. L’une a travaillé sur des aspects de politique vétérinaire sur un programme avec des personnes en probation. La seconde a travaillé sur tous les programmes de BiodynamiCaval, tous les publics : adultes, ados, enfants, personnes handicapées et personnes en probation. Ce travail de recherche leur a permis de soutenir leur mémoire de fin d’études.

Un mot sur cette expérience avec des personnes en probation ?
Nous avons monté ce programme avec le SPIP (Service pénitentiaire d’insertion et de probation, NDLR). Nous avons fait trois sessions de dix jours sur trois mois avec des personnes volontaires. L’objectif était d’éviter la récidive, la radicalisation. Il y avait aussi un volet de lutte contre les addictions.

Pour quels résultats ?
Et bien ça marche. Les personnes qui étaient très isolées l’étaient beaucoup moins après avoir suivi le programme. Pour les conseillers du SPIP, il y a carrément un avant et un après dans leur suivi avec ces personnes. Dans leur mode de communication, quelque chose avait bougé.

Est-ce que l’étude vous a montré des choses que vous ignoriez ?
Oui, pour les addictions par exemple à l’alcool, le programme est trop court. Ils retombent facilement après. Plus largement, les deux étudiantes ont interrogé des dizaines de personnes. J’ai pu entendre des choses que je n’aurais peut-être pas entendues hors de ce cadre scientifique.

Quelles suites ont eues ces deux études ?

Elles ont d’abord permis aux étudiantes de soutenir leur mémoire de fin d’études. Elles ont été présentées publiquement lors d’une conférence et elles sont aujourd’hui consultables en ligne sur le site de la Boutique des sciences et le nôtre. Aujourd’hui, cela ouvre aussi pour moi la porte à d’autres projets : je suis par exemple sollicitée pour un appel à projets sur le sport en prison

Incitez-vous vos confrères thérapeutes à utiliser ce dispositif ?

Clairement oui si on se pose une question sur notre pratique. C’est un pont entre la science et le terrain.

Même si c’est aussi prendre un risque ?

C’est bien de se mettre un peu en danger parfois, plutôt que de rester sur ses lauriers. On peut toujours être content de ce qu’on fait mais il y a d’autres visions à prendre en compte et qui permettent de communiquer sur ce que l’on fait de manière plus objective.

Les boutiques des sciences sont apparues aux Pays-Bas dès la fin des années 1960.

Ces dispositifs reposent sur un principe simple : les demandes « brutes » que leur adressent des représentants de la société civile sont reformulées avec des scientifiques afin de constituer de véritables « sujets de recherche ». Ces derniers sont alors proposés à des étudiants qui s’y impliquent dans le cadre de leur cursus.

Depuis 2014, la Boutique des sciences de l’Université de Lyon coordonne chaque année une dizaine de projets dans les thématiques prioritaires de l’environnement, de la santé et des questions sociales. Dans ce cadre, des étudiants de niveau Master collaborent durant un stage de quatre à six mois avec des collectifs de citoyens sur des problématiques d’intérêt général.

Ainsi, à la demande de Dominique Gutierrez, deux étudiantes, Alexia de Guibert et Agnès Schryve ont travaillé au centre équestre SLEM de Montbrison et plus spécialement dans la structure BiodynamiCaval qui propose et réalise des dispositifs de thérapie psychocorporelle Biodynamique avec le cheval.

Carnet de bord d’Agnès et Alexia

Touchers – Février 2017

 

Toucher, palper, effleurer, presser, caresser, triturer. Dans la relation thérapeutique avec le cheval, l’une des interfaces possible et valorisée est la peau, et ce que l’on en fait.
Peau de cheval, peau d’humain, le toucher est à la fois un sens mobilisé et un acte posé, qui connecte l’homme et l’animal. Comment rendre compte, sociologiquement, anthropologiquement, de ce contact cutané, des sensations qu’il procure, des savoirs qui se tissent du bout des doigts, de la connaissance de l’autre (l’animal) et de la pratique relationnelle qui se noue depuis la paume de la main (ou aussi bien d’autres parties du corps) ? L’étudiante en recherche peut poser un regard sur, peut elle-même expérimenter le toucher, mais comment travailler sur l’impalpable, soit les sensations issues du palper des participants de ce dispositif ? De plus, ici, ce qu’il y a au bout des doigts, c’est un être vivant, perceptif, sensitif, réactif, qui répond au toucher, peut le chercher ou l’éviter, l’accepter ou le refuser. Ce qu’il y a au bout des doigts, c’est un pelage, une chaleur, une crinière, de l’humide ou du sec, du vivant, parfois une découverte. Ce qu’il y a au bout des doigts, c’est aussi un « qui », Amande, Bridge, Hellios, Petite Fleur et les autres. Du toucher inattentif (quand on caresse machinalement une encolure alors que l’on parle à quelqu’un d’autre), au toucher « soin » (quand on panse le cheval), en passant par le toucher exacerbé (lors d’un exercice les yeux bandés) ou un toucher qui « contrôle » le cheval, on peut dire que le contact tactile provoque des effets particuliers sur le « toucheur », et sur le « touché ».

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Butterfly, la jument qui venait chatouiller les êtres humains – Avril 2017

 

C’est un beau week-end d’avril. Quatre personnes le passent en stage de thérapie biodynamique avec le cheval, avec la thérapeute, son assistante, et moi. Le samedi, en fin d’après-midi, il y a eu une séance de « rêve éveillé » dans le manège : les participants étaient allongés sur leur cheval respectif, la tête posée sur la croupe du cheval, pendant que la thérapeute les accompagnait dans la méditation par sa voix, de la musique en fond sonore.

Après cette séance, nous installons des boudins au centre du manège, sur lesquels nous nous asseyons, pour faire un « débriefing », un tour de parole sur ce qui a été vécu et ressenti lors du rêve éveillé. Les chevaux sont en liberté dans le manège, un peu plus loin de nous, du même côté. Tous, sauf Butterfly, double-ponette blanche. Elle est tout proche de nous. Pour trois des participants, lorsqu’ils prennent la parole, Butterfly s’approche d’eux, approche sa tête des têtes des orateurs, les touche, leur renifle les cheveux, voire les « mâchouille ». A tour de rôle ils parlent, à tour de rôle Butterfly s’invite auprès d’eux et entre en contact, physiquement, tête de cheval sur tête d’humain. Les commentaires tournent autour des causes et des effets de cet évènement (les causes : Butterfly sent que telle personne en train de parler a besoin de sa présence donc elle s’approche, les effets : Butterfly apporte du réconfort, du jeu, du rire, un « cadeau »).

Je me trouve dans une impasse méthodologique. Comment retranscrire ce moment, comment l’étudier, le comprendre, m’en emparer ? Si je déblatère les faits : telle personne parle,

Butterfly s’approche, lui mâchouille les cheveux. On en dit ça et ça. Telle autre personne parle, elle s’approche, lui mâchouille les cheveux, on en dit ça et ça, etc., c’est avec une certaine froideur que je trahirai l’émotion (émerveillement, incrédulité, rires, larmes aux yeux) de ce moment. Emotion des participants, émotion des encadrantes, et puis la mienne aussi, d’émotion. Ce sont ces émotions, de tous types et de tout le monde, activées par les actes de Butterfly, qui ont fait la saveur du moment. Quand l’ethnographie se doit d’embrasser l’affect, je pense que ce n’est pas contraire à un travail de faire science, c’est au contraire participer à documenter ce qu’il se passe quand des chevaux et des humains sont en présence dans un tel dispositif.

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Libérer la parole – Mai 2017

Enjeu de thérapeute, enjeu d’étudiante en recherche socio-anthropologique.

L’un des éléments au centre de la pratique thérapeutique, c’est la parole des participants. Narration de soi, de l’intime, du privé, d’états intérieurs, d’émotions, d’évènements. Narration de choses que l’on ne dit pas ailleurs, dans un autre contexte, ou à n’importe qui. Se dire, se conter, se parler, ne va pas de soi, et ce, d’autant plus en groupe. En effet, ce n’est pas anodin de partager ses difficultés, vulnérabilités, désirs, joies devant un collectif. Le groupe écoute et reçoit ces paroles données, livrées, paroles qui peuvent parfois entrer en résonnance avec ses propres difficultés, vulnérabilités, désirs, joies. La thérapeute s’en saisit pour accompagner le participant, et la dynamique de groupe, dans un processus thérapeutique. C’est aussi elle qui instaure le climat et les moyens pour que la parole se libère, de différentes manières, pour les participants, de tout âge et horizons sociaux.

Et libérer la parole pour la recherche ? La parole permet d’accéder aux vécus, aux expériences, aux souvenirs, à ce à quoi l’on donne de la valeur, de l’importance. Libérer la parole permet de saisir chez les participants un rapport à soi, à l’animal, au « travail thérapeutique ». La parole est aussi l’un des éléments au centre de la recherche en sociologie-anthropologie. L’entretien est un mode privilégié, mais parfois à adapter, notamment pour les enfants, ou pour des personnes pour qui parler d’elles-mêmes est inhabituel. Les observations des séances permettent aussi un riche accès à la parole des participants. Entretiens, observations, focus groups, les occasions se multiplient pour que l’on me parle, pour faire avancer la recherche.

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Derniers instants de terrain – Juin 2017

Le mois de juin marque la fin du travail de terrain, et le début de la mise en écriture de la recherche.
Après 5 mois passés sur le site du centre équestre, dans une posture de recherche impliquée, les derniers moments de terrain, d’observations, d’entretiens, de discussions ethnographiques, sont marqués d’une saveur douce-amère. Douce, car le phénomène bien connu des ethnographes, la saturation du terrain, se fait sentir, trop d’informations, trop de situations, trop de discussions, l’analyse de ces instants partagés paraît être une montagne. Amère, car les relations tissées au long de ces mois, les moments vécus, dépassent le cadre d’une recherche « froide », désincarnée, absolue, qui serait débarrassée de la subjectivité et de l’affect de l’étudiant chercheur.

La prochaine étape ? La mise en écriture, fini le centre équestre, les bruits et odeurs des chevaux, les mises en situation des participants et leur travail thérapeutique, le dispositif porté par la thérapeute, les temps « pour l’étude » articulés avec des moments de vie. Bonjour les bibliothèques universitaires, logiciels de traitement de texte, livres, articles, carnets de terrain et ordinateur, et, heureusement, les discussions enrichissantes avec les camarades, eux aussi en processus d’écriture.

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Textes et photographies : Alexia De Guibert M2 SADL Université Lumière Lyon 2 Boutique des Sciences Université de Lyon

BiodynamiCaval
Sports et loisirs Equestres Du Montbrisonnais
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